DEEE : le traitement n’est pas compatible avec le trafiquant

Stagnation de la collecte au cours de ces trois dernières années, développement de solutions de collecte nécessaires à sa relance, impliquent une mobilisation, dans un cadre clair et contrôlé. S’engager dans le recyclage consiste aussi à vérifier que la pollution ne s’exporte pas, mission primordiale surtout pour une filière agréée par l’Etat. Pas facile pour autant… Assurer une qualité élevée dans la chaîne de valorisation repose aussi, bien évidemment sur une traçabilité effective et non en pointillés. Or, force est de constater qu’il y a des trous dans le filet, à moins que les mailles ne soient trop larges…

La tentation de traiter à pas cher les DEEE, n’a pas de frontière. De la même manière qu’elle ne concerne pas que les petits qui seraient mal informés…
Pour s’en convaincre, il suffira d’évoquer le cas de l’Américain AT&T, un géant des télécoms qui pourrait bien se voir infliger une amende de 52 millions de dollars pour avoir foutu pendant 9 ans (2005-2014), des DEEE dans des quantités significatives, dans des décharges absolument pas équipées pour ce type de déchets, avec pour conséquence d’avoir pollué gravement les sols, tout comme les nappes phréatiques, en raison des quantités de métaux lourds, plomb, cadmium, et autre mercure, que contenaient ces déchets.S’il va sans dire que les responsables dans cette affaire ne pouvaient pas ne pas savoir qu’ils enfreignaient la loi, il est tout aussi évident qu’ils ont réalisé de sérieuses économies, pendant toutes ces années.
On rappellera que l’accord amiable fait partie intégrante de l’arsenal juridique américain pour rendre la justice. Dans le cas qui nous occupe, cela supposerait une obligation pour l’entreprise incriminée, de mise aux normes des sites concernés, pour en faire des modèles du genre, s’agissant de la gestion des DEEE : budget estimé, 28 millions de dollars à mettre sur le tapis…

Déjà condamné pour des faits similaires en 2011, il a remis sa combine en marche entre septembre 2012 et avril 2013 : exporter des équipements hors service (et donc des déchets), via la procédure qui s’applique pour les réparations ; de la sorte, il faisait l’impasse sur la dépollution avant recyclage, opération évidement couteuse…

« L’activité des filières parallèles et les images désolantes issues de différents reportages (voir notre article DEEE : ordures sonnantes, déroutantes et trébuchantes) prouvent la nécessité de faire preuve d’encore plus de vigilance. Pour cela, Eco-systèmes a fait le choix d’aller au-delà des contrôles nécessaires, en poursuivant ses efforts pour développer de nouveaux marchés de reprise des matières recyclées, et impulser des exutoires innovants pour certaines fractions issues des appareils recyclés ».
A cela s’ajoute le déploiement « des nouveaux canaux de collecte, ce qui nécessite une professionnalisation accrue de certains acteurs du recyclage des DEEE ». L’ensemble de ces enjeux « révèlent donc la nécessité et l’importance d’une collaboration active entre Eco-systèmes et les acteurs de la chaine du recyclage des DEEE, mais aussi les autorités de contrôle d’un niveau régional à un niveau international, avec des contrôles effectifs » (et des sanctions évidentes)…
Bref : on aura compris que les margoulins ne manquent pas, non plus que les bonnes volontés ; l’idée sera de faire « efficace », car, si l’on en croit un rapport de l’Unep, il faut escompter une progression de l’ordre de 33% du volume de ces D3E, jusqu’en 2017, soit 65,4 millions de tonnes en 2017, c'est-à-dire 9 kg par Terrien (50 millions de tonnes et donc 7 kg par personne, en 2012). Le phénomène ne devrait pas cesser, puisque les pays industriels continueront de consommer ces équipements, et donc de produire ce type de déchets, tandis que les pays émergents pourraient afficher une progression dépassant les 200% au cours de ces prochaines années.



Si le film signé de Fabrice Estève (« La tragédie électronique » pour Arte) fait mal, il est un bon moyen de sensibiliser à la problématique trafic de DEEE et surtout d’inciter à changer de modèle, Camille Lecomte (Les amis de la terre) ne manquant pas de rappeler que « 25 ans après la Convention de Bâle, 8 ans après l’instauration des éco-organismes à la française, 11 ans après l’adoption de la directive européenne, le problème reste entier », soulignant aussi que « le texte européen prévoyait d’entrée une collecte de 4 kg /an/hab, quand on produisait, déjà à l’époque, près de 14 kg »…

De fait, si l’on considère en parallèle, un détail qui ne manque pas d’intérêt, à savoir un cours de l’or qui a grimpé de 525% entre 2000 et 2010, il n’est pas difficile de porter l’estocade : les filières dites parallèles, n’ont pas de mal à aller bien…

Flavien Dhelemmes, directeur des achats non alimentaires chez Auchan France, indiquant pour sa part que l’enseigne a pris des mesures concrètes visant à favoriser la récupération de ce qui est HS. Il annonce « plus d’un million de réparations et des solutions techniques apportées » par la marque de grande distrib au service du client, mais aussi, bien évidemment « les reprises de DEEE, organisées dans les magasins afin de participer à la sensibilisation du public », précisant par ailleurs qu’Auchan « travaille avec 12 éco-organismes et que les meubles de collecte sont bien "présents’"». De la même manière que des opérations spécifiques sont régulièrement organisées, citant à titre d’exemple, celle menée en partenariat avec SEB, qui a permis de récupérer 22 000 pièces, l’enseigne ayant distribué des bons d’achat de 5 à 10 euros à ses clients ayant joué le jeu.
S’il est heureux d’entendre par sa voix, que la réparation fait sa réapparition, que la collecte dans les magasins n’est pas un leurre, on ne saurait pour autant s’extasier.
Dans la mesure où de longue date, la grande distribution a établi son fonds de commerce sur le « venez chez nous, c’est moins cher », omettant d’indiquer que ce serait vraisemblablement au détriment de la qualité et de la longévité des produits proposés à un public sans doute crédule ou voulant à tout prix faire de (fausses) bonnes affaires, il est difficile de ne pas considérer qu’elle a largement cautionné cette spirale infernale, génératrice de déchets dont on ne sait pas toujours quoi faire, d’ailleurs. Car tout n’est pas recyclable !



Oui mais voilà, l’idéal serait quand même, d’éviter ces allers-retours…« On enregistre entre 8 et 9 millions de déclarations en douanes par an, en France et la déclaration en douane ne permet pas d'identifier immédiatement un déchet », explique Michel Marin, chef du bureau D2 en charge de la politique des contrôles à la direction générale des Douanes et Droits indirects du ministère des Finances et des Comptes publics.
« Il faut impérativement accepter de se remettre en question pour mieux combattre ce fléau : au cours de ces trente dernières années, les échanges commerciaux internationaux ont été multipliés par X, ce qui a évidemment favorisé le développement des filières illégales »... admettant à mots à peine couverts qu’à part quelques actions «coups de poing», les autorités européennes responsables du contrô
le des transports de marchandises sont à la peine pour identifier les flux illégaux de déchets.Si les douaniers sont en charge de la détection des cargaisons illicites, le règlement européen n°1013/2006 du 14 juin 2006 leur permettant de faire des contrôles, dans le cadre du respect de la Convention de Bâle (interdiction d’exporter des déchets dangereux dans un pays hors OCDE), il reste que le problème numéro un semble être la pratique du ‘port hopping’, consistant pour un opérateur qui marche en dehors des clous, à choisir un port pas très regardant, en matière de vérification. On ne rigole pas : ça existe, sans nécessairement aller très loin.

Tout laisse à penser qu’il serait urgent d’harmoniser les procédures de contrôle aux frontières et de resserrer les mailles d’un filet qui, on l’a bien compris, n’est guère adapté pour aller à la pêche à ces sortes d'anguilles que sont les trafiquants…


Baptiste Legay expliquant qu’il « n’est pas facile de repérer les malversations, mais que des actions coordonnées entre l’Oclaes, les Douanes, la Gendarmerie et la Police ont permis de fermer un certain nombre d’activités parfaitement illégales », Dominique Potier, député de Meurthe et Moselle depuis 2012, confirmant que « les législateurs sont très motivés » : pour preuve, « la loi sur l’Ess, qui a renforcé le pouvoir des éco-organismes et de l’économie sociale et solidaire », tandis qu’il faudrait travailler « sur la durée de vie des produits pour limiter le consumérisme », suggérant, pourquoi pas, « d’afficher cette durée de vie, tout comme le prix, afin d’apporter une indication précieuse au consommateur »… L’élu rappelant aussi, « le devoir de vigilance des maisons mères sur leurs filiales et autres sous-traitants ».




