Un pollueur en faillite doit décontaminer, avant de payer ses créanciers

Le 07/02/2019 à 8:33  

Un pollueur en faillite doit décontaminer, avant de payer ses créanciers...

Justice Revirement de jurisprudence sans précédent en matière de pollution et dépollution : la Cour Suprême canadienne vient de trancher en prenant une décision opposée à celle de deux juridictions inférieures. Ainsi, un énergéticien, même en cas de faillite, doit décontaminer un environnement souillé par ses activités, avant de rembourser ses créanciers. Voilà une jurisprudence qui pourrait inspirer les juridictions européennes...

 Décision très attendue, que celle de ce procès qui fait couler beacoup d'encre. La plus haute juridiction du Canada vient de renverser les jugements de deux tribunaux inférieurs en décidant (à cinq juges contre deux) que la "faillite n'est pas un permis de faire abstraction des règles".

La Cour suprême avait été saisie par l'association Orphan Wells (Puits orphelins) et par l'agence de régulation de l'énergie (AER) de l'Alberta qui demandaient au producteur canadien d'énergie Redwater de remettre en l'état les territoires où il avait creusé 84 puits pétrolier et gazier, ce qui avait généré une pollution évidente des sites et sols exploités.
Or, cette société, propriétaire d’une centaine de puits, de pipelines et d’installations diverses, a fait faillite en 2015 et a abandonné sine die ces puits, dont 17 étaient encore actifs, laissant une dette de 5,1 millions de dollars canadiens (3,4 millions d'euros) à la banque ATB Financial.
Le syndic de faillite en charge du dossier (selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) canadienne, il est compétent pour gérer la procédure) avait alors décidé de vendre les puits actifs pour rembourser les créanciers mais l'AER -gendarme de l'énergie de la province de l'Alberta- avait exigé que ces fonds soient plutôt consacrés à la décontamination des puits inactifs.

Si la plupart des puits de Redwater étaient taris lorsqu’elle a fait faillite, le démantèlement des structures et la remise en état du terrain auraient coûté beaucoup plus cher que ce que les sites valaient. Pour éviter de payer ces coûts, le syndic a décidé de ne pas assumer la responsabilité des puits et des sites qui n’étaient plus utilisés : il les a abandonnés en arguant qu'il pouvait le faire conformément à la LFI, et a souhaité vendre les sites productifs pour rembourser les créanciers de Redwater. L’organisme de réglementation était d’avis que
cela n’était pas permis par la LFI et a ordonné au syndic de démanteler les sites auxquels il avait renoncé, lequel a soutenu que même si l’organisme de réglementation avait raison, les ordonnances d’abandon provinciales étaient des réclamations prouvables au sens de la LFI, ce qui veut dire que l’argent servirait d’abord à rembourser les créanciers de Redwater.
Le problème, c’était que les lois fédérales et provinciales semblaient se contredire. A la suite de quoi, ce syndic avait décidé de contester devant la justice cette exigence de nettoyage et dépollution, gagnant en première instance puis en appel, pour finalement être débouté en Cour suprême.

 Deux principales questions de droit étaient en cause. La première était celle de savoir si selon la LFI, un syndic pouvait simplement délaisser les sites dont il n’assumait pas la responsabilité; la deuxième était celle de savoir si les ordonnances provinciales relatives à l’enlèvement des structures du terrain étaient des réclamations prouvables selon LFI. Dans l’affirmative, l’ordre de paiement établi dans la LFI s’appliquait. Seul le montant d’argent restant à la fin de ce partage, le cas échéant, pourrait être utilisé pour démanteler les sites.
Le juge de première instance a conclu que le syndic pouvait délaisser les sites auxquels il avait renoncé. Les juges majoritaires de la Cour d’appel ont validé cette décision.

 Deux décisions que la Cour Suprême a balayé par une décision contraire, saluée par les groupes écologistes, dont l'ONG Environmental Defence, pour laquelle "la Cour suprême a placé avec raison la santé de notre environnement devant les banques". Ce revirement de jurisprudence ne sera probablement pas sans impacter la façon de régler des litiges similaires à venir (et peut-être inspirer la justice européenne... qui pourrait par ce biais, être tentée de limiter le nombre de sites "orphelins" à dépolluer grâce aux deniers publics) : selon Orphan Wells, en effet, la province de l'Alberta, coeur de l'industrie pétrolière canadienne, compte plus de 3 000 puits abandonnés, ainsi que 1 500 terrains laissés en l'état (et quel état...), sans perspective de décontamination.